L’industrie culturelle ne peut se bâtir qu’avec les Africains

INTERVIEW. Le cofondateur de Cinébox lance le complexe de cinéma MTN Movies House : un lieu unique pour développer l’industrie des loisirs en plein essor.
Propos recueillis par  Viviane Forson

Cela faisait 25 ans que les Congolais ne fréquentaient plus les salles de cinéma ! Cinébox, une société congolaise de distribution et d’exploitation cinématographique, veut y remédier en ouvrant MTN Movies House, une salle de cinéma de 200 places située dans la capitale congolaise, au cœur du Plateau des 15 ans à Brazzaville. Les promoteurs entendent participer à l’émergence d’une industrie cinématographique africaine de qualité. En plus de proposer une programmation de films diversifiée et accessible à tous les publics, Cinébox offre des cycles de formations aux métiers techniques de l’audiovisuel afin de contribuer à la promotion des acteurs de la scène culturelle en Afrique. Une première étape très importante comme le détaille pour Le Point Afrique son cofondateur Romaric Oniangue.

Le Point Afrique : comment est née Cinébox et comment avez-vous pu entrer dans le projet de MTN Movies House ?

Romaric Oniangue : Comme beaucoup de projets, Cinébox est né d’une heureuse coïncidence. Alors que nous testions un nouvel écran, un écran LED 4×3, Gilles-Laurent Massamba (cofondateur de Cinébox) m’a immédiatement dit que vu la taille de l’écran nous pouvions penser à créer un cinéma. Ce soir-là nous en avons bien ri tellement l’idée paraissait folle. Le Congo n’avait pas connu de salle de cinéma depuis plus de 25 ans.

Pourtant, quelques jours plus tard, nous avons décidé de relever le défi. Il a fallu obtenir les droits de projection, trouver des partenaires comme MTN, à qui nous avons vendu le branding du projet, et nous procurer le matériel. Un long chemin qui a mené à l’inauguration du cinéma MTN Movies House. Cette ouverture est un symbole fort à plusieurs titres. Déjà MTN Movies House va contribuer à l’essor du cinéma au Congo. Puis, c’est un message positif aux autres jeunes comme nous. Une idée qui fait rire un soir peut se concrétiser à force de travail et d’audace. Nous devons plus croire en nous.

À quels besoins répond la création d’une telle structure ?

Avec MTN Movies House nous avons principalement eu à cœur de répondre aux besoins de nouveaux loisirs. Malheureusement, au Congo, nous n’avons pas une offre de loisirs très variée. J’irais même jusqu’à dire que les divertissements tournent souvent autour des activités comme les discothèques et les bars. Il y a toute une partie de la population congolaise, surtout les familles, qui ont besoin d’une nouvelle offre. Comme dans de nombreux autres pays, il doit être possible au Congo de sortir entre amis ou en famille pour se divertir avec un film et un repas. Avant tout, le cinéma est un centre de vie et c’est ce que nous voulons que MTN Movies House devienne.

Ensuite nous voulons contribuer au renouveau de l’industrie cinématographique au Congo. Nous proposerons des formations pour faire émerger les futurs professionnels du secteur. Nous organiserons également des festivals pour mettre en avant les nombreux talents africains. En somme, nous avons une vision à long terme qui vise à développer des complexes de loisirs intégrés pour les jeunes et les familles qui veulent consommer de nouveaux loisirs. Ces centres seront entièrement dédiés aux divertissements et à la formation aux différents métiers de la filière cinématographique.

 

Pensez-vous que les Congolais seront au rendez-vous ?

Je n’en doute pas. Vous savez, je n’ai jamais eu autant d’appels que depuis l’inauguration de MTN Movies House. Mon téléphone a tellement sonné qu’il m’a fallu l’éteindre pour dormir ! Plus que la quiétude de mon sommeil, l’important est de remarquer qu’il y a un véritable engouement. Aussi bien des Congolais que des communautés étrangères vivant au Congo. La participation de plus de 4 ambassades à l’inauguration le prouve aussi (États-Unis, Russie, Chine, Mali). Notre application mobile MTN Movies House a également connu un pic de téléchargement hier. Nous allons bientôt dépasser les 200 téléchargements, ce qui est une performance très prometteuse.

Enfin, je pense qu’avec la sélection de films que nous avons faite et la qualité de la salle qui répond aux standards internationaux, les clients seront satisfaits. Ainsi, ils recommanderont l’expérience autour d’eux et ils reviendront. Ils sont nos meilleurs ambassadeurs.

Quel est justement l’état du cinéma dans votre pays ?

Il est actuellement en très mauvais état. Pourtant, le cinéma congolais a connu un âge d’or dans les année 1970-1980. En effet, il y a eu de grands réalisateurs comme Sébastien Kamba qui a notamment adapté le roman de Jean Malonga dans Les Raisons d’une alliance. Jusqu’à ce jour c’est un film qui est considéré comme un classique du cinéma africain. Il a quand même passé cinq ans au Musée du film de New York. Ce n’est pas rien. Le panthéon du cinéma africain compte en son sein d’autres grands réalisateurs congolais de cette époque. Je pense à Jean-Michel Tchissoukou, Pierre David Filla ou Bernard Lounda, pour ne citer qu’eux.

Ce sont les pionniers du cinéma au Congo et ils ont légué à la culture congolaise un héritage cinématographique inestimable. Toutefois, si le cinéma n’est pas à son apogée au Congo, cela ne signifie pas que les talents ne sont pas là. Nous devons simplement prendre le temps de recréer les conditions pour que ces talents puissent s’exprimer. MTN Movies House offre déjà une possibilité de diffusion des œuvres locales. Avec les formations que nous allons dispenser, nous allons consolider les capacités.

Les activités cuturelles sont en plein essor, peut-on vraiment déjà parler d’industrie justement ?

Nous pouvons certainement parler d’une industrie naissante. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, la culture cinématographique existe au Congo depuis plus de 40 maintenant. Mais si nous prenons la culture dans son ensemble, nous allons revenir à des traditions ancestrales. Quiconque connaît Brazzaville pourra parler des théâtres de rue, des danseurs qui animent différents lieux dans l’ensemble de la ville. Il n’est pas rare de voir des Congolais attablés à la terrasse d’un bar et qui assistent à une représentation théâtrale.

Nous pouvons également parler des écrivains congolais. Les plus célèbres seraient sans doute Henri Lopes et Alain Mabanckou mais ils ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Malgré ce vivier et un esprit culturel ancré dans nos traditions, il nous manque quelques éléments pour véritablement parler d’industrie. Nous devons développer les différentes activités de la chaine de valeur pour que chaque acteur puisse vivre de ses compétences. Cela passe par la formation, la promotion, la diffusion et la redistribution équitable de la richesse créée par le secteur culturel. Je crois beaucoup au modèle gagnant-gagnant. D’ailleurs MTN Movies House ne peut pas exister sans tous les maillons de la chaîne. De l’acteur au spectateur en passant par les techniciens et le réalisateur.

Comment peut-on soutenir les promoteurs comme vous ? De quels financements avez-vous besoin, où allez les chercher ?

En venant nombreux voir les films !  En ce qui concerne le financement, nous avons une stratégie claire et solide. Nous faisons le choix de financer nos projets par les produits. En effet, nous mettons en place des projets innovants que nous commercialisons ensuite comme des produits en tant que tels. C’est le cas de MTN Movies House. Nous avons vendu le branding à MTN. Cela nous permet de couvrir une bonne partie des coûts. Le reste des coûts étant couvert par les ventes classiques.

Comment rendre tout cela accessible aux populations ?

Je crois qu’il y a un espace pour développer les loisirs et les divertissements. Je pense qu’il faut que tous les acteurs de l’économie comprennent l’intérêt et jouent le jeu. Chez Cinébox, nous avons une vision collaborative. Nous pensons qu’il est important de faire la promotion d’un mode de vie qui valorise la culture et la créativité. Nous incitons les entreprises basées au Congo à y participer. Elles peuvent par exemple offrir à leurs clients des places de cinéma à prix réduit. Nous devons gérer nos entreprises de manière responsable. Le bien-être des Congolais est notre trésorerie. Cela passe par un mode de vie plus « sain » basé notamment sur une diversité des loisirs, culturels et sportifs.

Vous mettez beaucoup en avant le fait de proposer des films français ou américains, mais y aura-t-il une place pour le cinéma africain ?

Oui, c’est capital pour nous de faire de la place pour le cinéma africain. Dès demain, nous allons projeter Grave erreur, un film du réalisateur congolais Richi Mbebélé. D’autres sont également programmés comme le film camerounais W.A.K.A réalisé par Françoise Ellong. Comme le développement de l’industrie cinématographique africaine est au centre de notre vision, nous avons adopté un système de reversement direct d’une partie de la recette des films africains aux producteurs de ces films. C’est notre façon de participer modestement à la boucle de la vision collaborative. Nous avons tout intérêt à encourager la production de films africains.

Article original

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